Les magasins sont au cœur de la stratégie omnicanale du géant européen du bricolage Kingfisher. Son PDG, Thierry Garnier, explique en quoi l’élargissement de l’offre, la rapidité et la résilience des chaînes d’approvisionnement sont essentiels pour l’avenir, et pourquoi il mise sur un nombre ciblé de cas d’usage de l’IA en écartant les moins pertinents.
Thierry Garnier, PDG de Kingfisher

Thierry Garnier - PDG de Kingfisher

Le géant européen du bricolage Kingfisher est avant tout connu pour son réseau de magasins – de grands et petits formats - présents à travers différentes enseignes et dans 7 pays. Ce sont précisément ces magasins qui sont au cœur d’une stratégie reposant sur le choix, la rapidité et l’expérience client.
Dans un entretien exclusif accordé au magazine du NRF 2025: Retail’s Big Show Europe, Thierry Garnier, PDG de Kingfisher, explique comment son séjour en Chine a été une source d’inspiration déterminante. Il rappelle à quel point la puissance du concept de magasin Freshippo, lancé par Alibaba en 2015, a alors vivement impressionné tous les grands distributeurs présents en Chine à l’époque, incluant Walmart, Carrefour et Kingfisher.
« Je pense toujours que c’est le concept le plus innovant au monde aujourd’hui, car c’est un magasin relativement petit où l’expérience est maximisée, avec la suppression de tous les irritants », a-t-il déclaré. « L’autre choc que nous avons eu à l’époque, c’est qu’ils géraient jusqu’à 10 000 commandes en ligne par magasin et par jour, toutes livrées en 30 minutes, et cela dès 2015. Personne ne croyait cela possible. »

Thierry Garnier explique que cela a imposé l’idée selon laquelle l’expérience en magasin devait être tournée vers le conseil et le plaisir, grâce à rapidité de la livraison ou du retrait. Kingfisher a ainsi réorganisé son activité e-commerce et désormais 93 % des commandes sont préparées en magasin.

« C’est un modèle très agile. Au pic de la pandémie, nous préparions 1,5 million de commandes par semaine, contre environ 1,3 million pour les grands distributeurs alimentaires britanniques, et cela uniquement grâce à notre réseau de magasins. Cela nous permet de rivaliser avec les acteurs du e-commerce, sans coûts fixes supplémentaires, en tirant parti de notre infrastructure existante », déclare-t-il.

« Nos clients peuvent désormais retirer leurs commandes en 15 minutes chez B&Q, et en une minute chez Screwfix. Une grande partie de notre activité e-commerce repose sur les magasins comme points de préparation des commandes, avec une forte exigence mise sur la rapidité. Environ 85 % de nos commandes passent par le click and collect, ce qui rend notre modèle e-commerce très rentable », ajoute-t-il.

B&Q a également lancé une marketplace qui a généré plus de 300 millions de livres sterling l’an dernier. Ce modèle de marketplace a été désormais déployé en Pologne, en France, en Espagne, au Portugal et en Turquie. Tous ces marchés utilisent désormais la même technologie, renforçant ainsi le choix pour les clients.

« Nous sommes convaincus que l’élargissement du choix génère des ventes additionnelles significatives. Néanmoins, nous voulons maintenir un lien avec le magasin : ainsi, les produits de la marketplace peuvent être livrés dans un magasin pour un retrait en click & collect, et également retournés dans n’importe quel magasin B&Q. »

« Notre ambition pour les magasins du futur est d’en faire des lieux dédiés à l’expérience client et au conseil. Cela implique de repenser le back office, en passant aussi des caisses traditionnelles à davantage de solutions de scan & go, pour libérer du temps aux équipes en magasin et leur permettre de se concentrer sur la relation client. »

Kingfisher cible également la clientèle des professionnels, notamment les artisans et petites entreprises du bâtiment, pour lesquelles la proximité est essentielle.

« Les professionnels recherchent la rapidité. À Londres, vous ne voulez pas perdre une heure dans les embouteillages ou à chercher une place de stationnement. Les Londoniens privilégient donc les solutions rapides. Et ensuite, les attentes varient. Pour certains projets, comme une nouvelle cuisine ou de nouvelles fenêtres, vous êtes prêts à attendre un peu. Mais quand vous avez une fuite à la maison, il faut pouvoir retirer votre produit en 15 minutes. Dans notre secteur, la rapidité est cruciale pour certains clients, mais pas pour tous. »

Kingfisher développe également sa gamme de marques propres exclusives, à plus forte marge, et augmente le nombre de ses fournisseurs. L’entreprise cherche à diversifier les sources d’approvisionnement pour éviter les ruptures tout en conservant ses fournisseurs principaux.

« L’objectif n’est pas forcément d’avoir moins de fournisseurs en Chine ou plus en Europe, mais de garantir des alternatives en cas de problèmes de production ou de livraison - par exemple, en cas d’inondations en Espagne. C’est une priorité sur laquelle nous travaillons en continu », ajoute-t-il.

Le groupe utilise aussi des données en temps réel pour améliorer la visibilité de ses stocks tout au long du processus logistique. Et si Kingfisher explore toutes les possibilités de l’intelligence artificielle, Thierry Garnier précise que son attention se concentre sur les projets à fort retour sur investissement et avec une capacité de déploiement à grande échelle.

« Il est relativement facile d’avoir des centaines d’idées “intéressantes” en matière d’IA qui, en réalité, ont un faible rendement », déclare-t-il.

« Il faut prioriser les projets à fort rendement. Et ce n’est pas toujours simple pour les équipes, qui ont envie de proposer sans cesse de nouvelles idées. Mais gérer sept pays et des milliers de magasins nécessite de sélectionner des projets à fort impact, de les déployer rapidement à grande échelle, pour en tirer des résultats visibles rapidement. »

Un exemple concret : l’optimisation des démarques, où l’IA peut fournir des recommandations de prix quotidiennes à chaque magasin en fonction de sa localisation, ce qui permet d’améliorer les marges.

« Ce n’est pas forcément très “exaltant” au premier abord, mais nous avons demandé aux équipes de rester concentrées sur le déploiement, compte tenu du fort retour sur investissement », indique-t-il. « Avec l’IA, il faut trouver un bon équilibre entre laisser la place aux innovations, tout en maintenant une exécution rigoureuse des cas d’usage prioritaires, et être alors très discipliné dans leur mise en œuvre. »